Dans un paysage sans-cesse changeant, il reste en Belgique un pilier solidement ancré depuis huit décennies : la sécurité sociale. Le week-end dernier, on célébrait le 80ème anniversaire de la signature du Pacte social entre les dirigeants syndicaux et les employeurs au sortir de la Seconde guerre mondiale.
L’avènement de ce Pacte social s’inscrivait bien sûr dans un processus plus large et plus long, puisque ses contours avaient déjà été dessinés dès la fin du 19ème siècle. A cette époque, plusieurs caisses de solidarité, sociales et locales, voient le jour. Le mouvement ouvrier a joué un rôle clé à cet égard : les caisses de chômage et de pension allaient en effet véritablement aider les travailleuses et les travailleurs à sortir la tête de l’eau.
Comité Employeurs-Travailleurs
Durant les négociations, beaucoup avaient encore en tête l’importante récession des années trente et le chômage de masse qui avait alors touché la population. Le monde ouvrier était convaincu de la nécessité absolue de réformes sociales majeures. Toute la période allant du 19ème siècle à l’entre-deux-guerres se caractérise par des révoltes sociales fréquentes. Un vent de révolution souffle, et fait peur à la classe dominante.
En octobre 1941, quelques dirigeants, tant patronaux que syndicaux, réfléchissent avec de hauts cadres de la fonction publique, à la création d’un réseau informel visant à favoriser la communication entre les employeurs et les travailleurs durant l’occupation. De ce réseau est né le « Comité Employeurs-Travailleurs ».
Au sein de ce Comité, le concept d’un « Projet de contrat de solidarité sociale » s’est développé. Celui-ci proposait d’instituer un système d’assurances sociales obligatoires pour l’ensemble des travailleurs salariés. Ce système serait financé tant par les employeurs que les travailleurs via des cotisations collectées par un nouveau fonds de répartition national. Ce fonds, qui deviendra beaucoup plus tard l’Office National de Sécurité sociale (ONSS), serait chargé de la perception et de la distribution des cotisations entre les différents secteurs.
Ce projet introduisait différentes idées pionnières, dont celle de cotisations décentes, de soins de santé pour tous les membres du ménage, de pensions jusqu’à 50% du salaire moyen, d’allocations de chômage de 40 à 60% du salaire moyen pour un ouvrier non-qualifié et d’allocations familiales nettement plus élevées.
Achiel Van Acker
Les règles convenues à l’époque (en 1944) ont fait apparaître la notion d’assuré social. Un assuré social qui allait, à partir de ce moment, être et rester couvert par toutes les branches de la sécurité sociale. C’est surtout le Ministre socialiste Achiel Van Acker qui s’investira au sein du Gouvernement et du Parlement pour faire adopter le Pacte social. Des efforts qui mèneront à l’adoption effective de ce Pacte le 28 décembre 1944. La loi sur la sécurité sociale relève alors de sa compétence en tant que nouveau ministre du Travail et de la Prévoyance sociale.
L’économie devait être au service de l’homme, du social et contribuer à l’amélioration du niveau de vie de la population active. Ce principe est devenu le fil conducteur de notre sécurité sociale.
La sécurité sociale dans le viseur
Le parcours de notre sécurité sociale n’est toutefois pas sans embûches. Sur base de considérations purement idéologiques, les partis de droite la considèrent trop souvent comme une dépense comme les autres. Si bien que de nombreux gouvernements de droite s’en sont servi à l’envi pour équilibrer un budget ou encore libérer des moyens supplémentaires.
Ainsi, sous le gouvernement de droite MR-NVA, nous avons assisté à une véritable chasse aux chômeurs, aux pensionnés et aux malades de longue durée. Ceci était le résultat d’une stratégie délibérée d’assécher notre sécurité sociale et de rendre son financement incertain. La coalition Vivaldi, dont font partie les socialistes, est venue changer la donne. C’était loin d’être parfait. Mais plusieurs mesures ont amené des changements positifs, comme les augmentations du salaire minimum ou de la pension minimum.
Notre sécurité sociale est confrontée depuis des années déjà à un problème de sous-financement. Afin de répondre à tous les besoins, il est de plus en plus souvent nécessaire de recourir à un financement alternatif, c’est-à-dire hors cotisations sociales.
Alors qu’à l’origine, la sécurité sociale était un système relativement bétonné, ces 25 dernières années, sous la pression de l’idéologie néolibérale, nous voyons deux glissements s’opérer. Ceux-ci (et c’est l’objectif des libéraux) minent fondamentalement les sources de financement du système. D’une part, les cotisations patronales ne cessent de diminuer (celles-ci sont passées d’environ 35% à 25% avec le tax-shift du Gouvernement MR-NVA), ce qui en 2023, a représenté un coût de près de quatre milliards d’euros. D’autre part, de plus en plus d’exemptions sont accordées aux patrons pour ne pas payer les cotisations patronales.
Mesures d’austérité
La gestion de la sécurité sociale doit rester une matière fédérale, avec un contrôle conjoint des syndicats et des employeurs. Le financement de la sécurité sociale doit être renforcé, plus spécifiquement par la suppression des réductions de cotisations patronales. Car, il ne faut pas être dupe : contrairement à ce qu’il disent avoir comme objectif, ces réductions ne créent pas plus d’emplois, elles augmentent les dividendes !
A l’avenir, l’évolution de notre Sécu dépendra essentiellement de deux éléments. D’une part, de l’effet potentiel des terribles et austères règles budgétaire européennes qui seront adoptées (ou pas) début de semaine par le Parlement européen. D’autre part, des résultats du 9 juin. Les élections détermineront qui prendra les rênes et quels seront les plans des nouveaux dirigeants au pouvoir pour notre sécurité sociale. En bref, à gauche : le renforcement de la sécu, à droite, sa fragilisation.
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